Coeur en peine

Comment avait-il pu lui mentir... Comment ? Il avait s'être débarrassé de Rochel... Mais pour retomber entre les griffes de Lucifel... Ce cynique, froid et égoïste! Elle ne comprenait pas que l'on puisse accepter d'être dépendant d'un autre... Et de quel autre ! Pourtant si Gale lui avait expliqué... Peut être qu'elle aurait pu comprendre... Pour lui elle était prête à tous les efforts... Mais pourquoi, pourquoi lui avait-il menti ?

Tournant et retournant ces pensées inlassablement, elle fuit vers le jardin, cherchant le réconfort d'Hécate. Au hasard des bosquets, elle tomba sur les fleurs de Mélorélie, ces fleurs argentées au coeur rouge.

Il faisait froid cette nuit là, les iris argentées se meurtrissaient au clair de lune bien que leur éclat n’eut rien de morose. Le vampire quant à lui ceint dans sa longue toge de tussor sombre s’immisçait dans l’Eden pour fêter sous la brise saisissante les victimes de ses crocs nouvellement retrouvés.
L’allure grisée, le teint resplendissant de sa peau et notamment des joues empreintes de vermeille. Son sourire arrogant surélevé d’un sourire caustique à la limite de l’indécence, il virevoltait parmi les allées d’un pas lent de dipsomane, d'une remarquable discrétion cependant. Son attention se porta sur une source de chaleur parmi le froid des jardin, une jeune louve au paraître, ou bien une humaine, il ne savait guère trop. Mais il devina cependant l’identité de cette silhouette. La parvenue d’Anagura, jeune amante du damoiseau sémillant ; serviteur de ces Dames et apprenti modique ; elle siégeait parmi les fleurs.

Il s’en approcha posément, désireux de déclencher chez elle un fâcheux soubresaut, de la mettre à nue une fois de plus devant l’évidence : le cynisme allait de pair avec l’espièglerie.

Il lui tint à l’oreille d’une voix sibylline, presque inaudible :

- Les jaspins flirtent avec les murs ces temps-ci… Et il paraît que tu dépite mon ilote ?

Elle venait de se souvenir... De la première fois qu'elle avait vu ses fleurs... Le jour où elle avait appris qu'elle ne pourrait jamais se marier à son amant... C'était il y a si longtemps... Fleurs de douleur...

Et puis soudain, elle sentit une odeur, odeur de mort et de vie... Odeur de vampire...

"Les jaspins flirtent avec les murs ces temps-ci… Et il paraît que tu dépite mon ilote ?"

Lucifel ! Toujours lui ! Colère et haine ! Lui !

"Que me voulez vous ? Vous parlez de Gale ? Il n'est pas votre esclave !"

Lucifel... Lucifel... aussi rapidement que se tournaient ses pensées dans sa tête, "jalousie" son poignard se tournait dans sa main... Il serait si tentant de se débarrasser de lui... Mais Gale semblait tenir à cet individu... HAine et colère... Tout semblait si simple l'instant d'avant... Amertume et chagrin... Tout est si fragile... Lucifel... Gale... Rochel... Tourbillon sans fin de la pensée... Et "Jalousie" ... La main crispée... Il ne faut pas... Nan... Fuire...

Alors elle qui ne fuyait jamais devant personne, elle fuit devant elle même, devant ses pensées meurtrières... Il ne fallait pas... Pour Lui... Lui... Gale...

Lucifel sourit amusé et d’un air contemplatif. Il se tenait derrière elle, le regard hilare et de ses mimiques éhontées. Il n’espérait pas un telle réussite.
Cela en devenait presque caricatural, la furie se trémoussait de rage et ses pensées presque palpables irradiaient les alentours. Le vampire eut du mal à contenir ses gloussements et il fini par éclater d’un rire gras et frénétique qu’il peut calmer seulement après avoir entrevue le regard noir et sentencieux de la femme-louve.
Il se tu, la reluquant des pied à la tête un brin de défiance dans l’œil. Cela rappelait étrangement leur première rencontre.

Le vampire allait sombrer dans l’euphorie, ses lèvres se crispants formaient un sourire persifleur et le timbre de sa voix se muant dans sa gorge à en devenir vibrant et fébrile :

- Tu n’arrivera pas à m’occire avec cette coutille boule de poils… Cesse donc de te tourmenter pour ton galantin.

Mais Ythylolyn Lysel ne l'écouta pas... Elle était déjà loin... Tant de haine... Pourquoi ? Lucifel ne lui avait pourtant rien fait... Tant de colère et de rage contre son visage lisse et cynique... La houle se brise sur le rocher... Mais un jour... Un jour la falaise s'effondre... Un jour peut être... Et elle fuyait à nouveau...

Mais alors qu'elle allait entrer dans le manoir, elle heurta quelqu'un... Ce parfum... Gale... Gale qui essayait de la rejoindre... Et son esprit en vrac qui cherchait un ancrage... Lui... Tant de haine et tant d'amour... Comment avait-elle pu croire que son coeur était mort!

Lucifel demeura près des iris, n’ayant pas même prit peine de suivre la femme louve du regard. Quelle importance ?
Il savait que malgré la distance, le timbre de sa voix se fondait dans le vent. Quand bien même il n’adressa qu’un murmure, celui-ci fut porté telle une vague de douceur, pourtant irritante aux oreilles d’Ythylolyn.

Cela le fit sourire encore d’avantage, de l’impertinence de cette jeune mortelle, de son arrogance détrônée par le doute. S’était-elle vraiment crue à son âge, plus puissante qu’un vampire ?

Elle l’avait fuit, il l’aurait rejoint d’un bond s’il l’avait souhaité. Mais à quoi bon ?
N’y avait-il pas une moindre pierre, une moindre parcelle du Manoir qu’il méconnaissait ? Où qu’elle fut allée, il l’aurait deviné sans peine. D’ailleurs, il le savait déjà.

Celle dont l’impétuosité ne traduisait que son doute, celui de son amour, elle qui craignait que son amant ne la délaisse pour sublimer son maître : Le vampire cynique et ravissant.

Cela faisait bien un quart d’heure qu’il était resté à contempler les fleurs, l’une d’elle avait déjà rejoint sa chevelure de jais, et se contrastait radieuse de sa teinte écarlate et argenté.
Lui songeur arpentait désormais l’allée pour rejoindre la demeure, son pas d’une lenteur déconcertante et ses gestes d’une articulation inhumaine à faire pâlir les apprentis. Il n’en restait cependant que bien peu au manoir depuis ces derniers jours.

S’attendait-il à retrouver ses deux hôtes ?
La jeune femme s’étant réfugiée dans les bras de Gale comme pour se convaincre de véracité de son amour. Et l’éphèbe de l’étreindre, et de la consoler de ses paroles maladroites. Il frémit de sarcasmes à l’idée d’un tel tableau. Ces deux jeunes gens, tellement en deçà de la vérité quant au vampire. Et lui irradiant de satisfaction lorsqu’on l’accable de tels stupres.

Ne devrait-il pas achever la métamorphose de Gale, le signer du sceau de son appartenance, puis observer la courtisane rugir de colère et d’en rire aux éclats.
Oui cela était de bon augure, c’était une nuit merveilleuse pour un vampire renaissant de ses cendres. Et la lune ronde et lumineuse le confortait dans sa sensation de bien être : Lucifel le magnifique aux discours venimeux, et désormais redoutable…

Main dans la main ils partirent... comment aurait-elle pu ne pas lui pardonner? Mais toute au fond de son coeur.... Toute au fond... Il y avait le visage de glace de Lucifel... et la peur... Peur de l'avenir... Et de lui... Peur de l'attraction qu'il opérait sur Gale... Elle voyait bien que Gale ne comprennait pas tout... Comment pouvait-il ne pas voir où Lucifel l'emmenait...? Lui et son fils... Si semblables et pourtant si différents... Glace et feu.

Alors, comme Gale dormait encore, elle se leva discrêtement et resortit... Jamais elle ne pourrait trouver le calme, jamais plus ? L'avenir n'était que peur... Quelles nouvelles souffrances ... Alors dans tout ca, mélange de haine et d'amour, de peur et de mélancholie, elle revit un visage appasant... Le regard maternel de Mlorélie lors de leur première rencontre... Il était temps de faire ce pour quoi elle était venue... Et elle se dirigea vers le laboratoire.