Linoa faiblissait, elle marchait depuis de longues heures et elle commençait à perdre ses repères. La chaleur accablante était un lourd fardeau qui l'empêchait de se déplacer aussi aisément qu'elle l'aurait souhaité. Elle parvint à distinguer la falaise rocailleuse qui surplombait le désert aride. Le Manoir des Seïgura se dessinait progressivement dans le paysage et s'apparentait à une lueur d'espoir après tant de chemin parcouru. La jeune femme se pressa jusqu'à l'entrée du Manoir. Là, un sourire se dessina sur son visage émacié et d'une blancheur inquiétante malgré la chaleur oppressante. Elle allait enfin le revoir. Celui qu'elle avait laissé, celui qu'elle avait abandonné. Peut-être n'appartenait-il qu'à une succession de chimères qu'elle s'était plut à considérer comme vraies… Mais peut-être aussi qu'elle connaissait son odeur, qu'elle s'était accoutumée à sa démarche nonchalante, à sa beauté froide et son assurance exacerbée. En fermant les yeux, elle pouvait discerner les formes sveltes de son corps froid et puissant. Elle pouvait presque ressentir le goût amer de ses lèvres sèches mais qui, pour elle, avait un côté sensuel. Elle se plut à imaginer que ses bras frêles entouraient sa taille fine et qu'il pressait sa peau nacrée contre lui. L'étreinte avait un goût d'interdit et c'est inévitablement ce qui lui plaisait. Elle sourit vaguement et constata que la chaleur commençait à lui donner des hallucinations assez curieuses, en même temps qu'elle lui permettait de survivre à tant de fatigue… Sa triste vie ne pouvait que reposer sur le rêve, c'est à peu près tout ce qui lui restait. Pour autant, elle ne regrettait pas sa condition et s'en accommodait même parfaitement. Elle vagabondait à loisir et pouvait loger dans le Manoir le plus opulent qu'elle n'eut jamais vu.
La grille d'entrée semblait entrouverte mais néanmoins, un garde la protégeait. Linoa s'approcha de lui, de sa démarche apathique, et aurait aimé lui adresser quelques mots. Le manque cruel d'énergie dont elle était victime l'en empêcha et ledit garde prit la parole avant elle. Cependant, comme elle ne représentait pas un danger potentiel, il la laissa passer après qu'elle lui ait dit qu'elle souhaitait voir Sir Lucifel. Les traits tirés de son visage diaphane, son attitude atonique et le ton morne et monotone de sa voix ne laissaient transparaître aucune menace. Ainsi, elle put s'avancer jusqu'à la porte d'entrée du Manoir sans aucun problème. Ce jour-là, elle portait un corset noir qui laissait apparaître ostensiblement ses formes généreuses, une longue jupe noire qui allongeait sa silhouette déjà filiforme et mince, ses cheveux étaient tressés et ne laissaient virevolter que quelques mèches éparses. Ses lèvres charnues avaient une jolie teinte rosée et ses yeux d'un bleu intense provocant étaient intensifiés par un léger fardage noir. Elle frappa à la porte du Manoir et attendit que quelqu'un daigne venir lui ouvrir la porte. Son cœur battait déjà plus vite et, plus que tout, elle espérait se retrouver face à Lui. Elle replaça les quelques mèches qui s'attardaient sur son visage en un geste nerveux et toucha le pendentif qu'elle portait à son cou, lourd de symbole, pour faire passer le temps. Elle n'attendait plus que Lui…