Une arrivée tardive et innattendue...

Rochel traversa les couloirs déserts en cette heure avancée de la nuit jusqu'à la demeure de Lucifel. Il ne prit pas la peine de frapper, et pénétra directement dans la pièce, sachant très bien que le maître des lieux ne sommeillait jamais de nuit... Sans surprise, il le trouva éveillé qui le fixait, demandant muettement le motif de sa visite.

- Sashina est de retour d'entre les morts savez-vous... ?

Plongé dans sa lecture Lucifel suivait le cours de la nuit sans réelle conviction, la mort récente de Linoa l’avais contraint à se contenter d’un sang moins délectable ce qui déteignait un tant soit peu sur son humeur.
La porte claqua et Rochel fit irruption dans sa loge ce qui n’était guère à son habitude.
Le vampire demeura flegmatique, sa voix était douce et étuvée résonnant comme un murmure :

- Quel vent t’as donc porté si violemment dans mes quartiers au point d’entraver mon ataraxie ?
- Sashina est de retour d'entre les morts savez-vous... ?

Le détachement de Lucifel le conduit d’amalgamer ces dires à des inepties, le nom de Sashina résonant tel un vague souvenir…
Sans plus d’intérêt il rétorqua d’une voix lasse :

Quel ahuri fais circuler de telles absurdités ?

Rochel soupira. Manifestement Lucifel ne s'était pas remis de la disparition de sa favorite... Et comme toujours accordait autant de crédit et d'intérêt à ses paroles et à sa présence qu'au rapport matinale du garde de la tour...

- Ma mère Lucifel... Je pensais que cette information que j'ai moi-même vérifiée avant de vous la rapportée pourrait vous intéresser. Elle est ici en ce moment, dans ce manoir. Sashina est ma mère, et donc votre ex-femme, décédée voilà des années, et récemment de retour d'entre les morts... Cela vous rappel t-il quelque chose ou avez-vous déjà oublié jusqu'au fait de votre procréation ?

Il serra les poings de colère contenue.
Peut-être devrait-il finir par admettre que sa génitrice, bien que possédant relativement peu de jugeote, avait raison sur un point : le dédain de Lucifel pour tout ce qui sortait du cadre fermé du pouvoir/de la drogue/et des femmes en chaleurs.
Malheureusement pour le jeune Seïgura, il ne faisait bien évidemment pas partit de ce type de préoccupations.
Son vénéré géniteur n’ayant toujours pas pris ne serais-ce que la peine de lui transmettre le don familial de la vampirisation, non plus celle de l’impliquer dans une quelconque affaire un tant soit peu importante (il finissait toujours par se défiler, et le recaler dans ce manoir plus que connu), bref, quoi que se fut qui lui aurait permis de sortir de sa retraite, ou de prouver une quelconque considération à son égard.
En conséquence, Rochel ne manquait jamais, depuis déjà des mois, de s’interroger. Constatant que son dit père n’en avait cure, et ne se souciais d’autre chose que sauter sa nièce et les filles des autres chefs de ligue, ainsi que d’agrandir la sienne propre, il était devenu vulnérable aux propos venimeux le concernant. Sashina, quelques heures auparavant, qui n’avait cessé d’argumenter sur le fait qu’il devait se libérer de l’influence de son influence, ouvrir les yeux sur le fait qu’il se moquait totalement de lui, ne plus lui accorder de crédit… Ces mots avaient été entendus, et il craignait réellement qu’elle n’est dit une part de vérité.
Aussi, quand elle avait glissé dans le sommeil, il l’avait quitté pour venir confronter ses doutes à la réalité de Lucifel, et se heurtait, comme d’ordinaire, à un mutisme buté qui ne supportait aucune diversion.
Il sourit ironiquement à l’évocation mentale des quelques retrouvailles partagées avec Sashina, sans aucun doute Lucifel ne manquerait pas de rire d’une telle situation, le rabaisser encore sans doute. Oubliait-il qu’il n’avait pas non plus toujours été d’une jugeote implacable, et qu’au jour d’aujourd’hui, sa conduite n’était pas plus éclairée que celle d’un être en mal de vivre à la recherche d’identité dans le ventre et le sang des demoiselles ?
Cette fois, à coup sur, Rochel était venue pour entendre de la bouche de cet être à moitié mort, les vérités qui lui manquaient. Toutes ces années, il avait veillé sur son créateur. L’avait consolé, conseillée, soigné… Le contraire, bien que plus normal dans une situation père/fils, n’avait été effectif que pendant les quelques temps de sa petite enfance… Pourquoi ?

Rochel s’approcha de Lucifel et attrapa son visage dans ses deux mains de sorte à tenter de fixer son regard. Bien entendu celui-ci était flou, ailleurs, préoccupé peut-être, mais pas de l’instant présent… Le jeune homme tressaillit de rancune. Dégoûté, répugné, il lâcha le visage qu’il enserrait quelques secondes auparavant pour le gifler. Pas trop fort, comme on réveille un inconscient.

- Père…

Il contait sur le maigre poids que pouvait avoir cette appellation : en effet, il n’insistait jamais sur le lien de sang qui les unissait, se contentant de l’appeler par son prénom.

- Père, m’aimes-tu ?

La question fatidique était posée. La réponse que donnerai Lucifel définirai sans doute le restant de l'existence de Rochel, ainsi que le devenir du semblant d'équilibre mental qu'il parvenait encore à conserver.
Alors ? Qui avait raison ?
Sashina blâmait Lucifel, lui l'avait oublié après l'avoir dénigrée. Les deux l'avaient abandonné.
Devait-il les tuer tous deux pour enfin connaître une certaine paix ?

La flammette du chandelier ne vacilla qu’à peine sur l’impulsion de Rochel, un geste ample assenant avec retenue une claque tutélaire sur la joue de son géniteur. Ce n’est qu’à cet instant que le vampire démêla dans son esprit ankylosé les dires de son fils, détachant chaque mot afin de n’en retenir que l’écho d’une dantesque nouvelle… Sashina revenue d’entre les morts se trouvait en Anagura.
Son corps entier frissonna comme si la nouvelle sonnait son effondrement, les songes des atrocités qu’il avais subi des années plus tôt envahissant son être et le plongeant dans une lente agonie mentale.
Cela ne dura en réalité que quelques secondes, Rochel ayant marqué un court silence repris d’un ton anémié :

Père m’aimes-tu ?

On ne pu lire sur le visage de Lucifel que confusion et effarement, nécessitant plusieurs secondes pour assimiler le monde externe tandis qu’il luttait pour maintenir son flegme. Ce n’est peut-être qu’à cet instant qu’il prit conscience de la perte imminente de son fils, celui à qui il portait à la fois tant de haine et d’amour, sceaux d’un passé trouble et enfouit par le temps et qui resurgissais désormais sans que rien ne puisse l’entraver. Un mélange de crainte et d’atonie hantait le vampire qui demeurait médusé quelques secondes encore, le regard vide et désorienté.
Ses mains se crispèrent soudainement sur le grimoire qu’il tenait jusque là et le projetèrent un peu plus loin sol. Dans le même excès de violence il plaqua Rochel contre la cloison, les lèvres retroussées laissant apparaître les deux longues canines d’acier qui lui avait été offertes par ce derniers.

Comment peux-tu douter de l’amour que porte un père à son fils !?

Lucifel retrouva son calme, son faciès redevenue placide et séraphin bercé d’une douce aigreur, il plongea sa tête dans l’encolure de Rochel comme il aimait le faire lors de ses rares ébats de tendresse, l’étreignant contre lui bien que l’elfe noire sur surpassait d’au moins un tête. Sa peau douceâtre et chaude dégageait une effluence féminine qui n’était pas étrangère au vampire, son odorat fin décela chez sa progéniture à travers son odeur et celle de sa défunte le relent de semence fraîchement épandue qui l’éclaira sur les motif d’une telle interrogation de sa part.
Ses lèvres frôlèrent la peau de son cou, dégageant de sa main un mèche de cheveux puis remontant jusqu’à son oreille il susurra :

Est-ce ce genre de relation dont tu me reproche de ne jamais t’avoir accordé ?

Son souffle s’enraya il fut soucieux de voir celle qui avait envenimé les pensées de son propre fils et ce à quoi elle pouvait ressembler désormais. Son amour pour elle semblait s’être définitivement éteint pour laisser place à une haine pernicieuse et destructrice, il fut prit d’un profond désir d’éteindre en son fils tout affection pour sa mère. Sa main droite se posant sur le visage de Rochel il plongea son regard dans le sien tandis que la gauche se saisit de la bouteille de Xin sérieusement entamée.
Le temps d’un clin d’œil l’objet frappa la tête du drow lui faisant perdre connaissance, Lucifel le guida pour qu’il s’étale sur sa couche le laissant inconscient tandis qu’il quittait la pièce…

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Rochel était toujours étendu sur le lit, un liquide noirâtre suintait le long de sa chevelure ainsi que quelques débris de verre. Lucifel se porta à son chevet, étuvant ses mèches souillée par le Xin avec une étoffe de soie humide. Il semblait avoir retrouvé la douceur qu’il lui portait lors de son enfance, un père ménageant son fils avec une intime délicatesse. Mais derrière son visage angélique et la finesse de ses geste bouillonnait la rancœur que le vampire portait à Sashina et aux siens, l’amour qu’elle avait réveillé en lui pour son fils était intéressé et entaché par la fin tant convoité, garder Rochel pour lui seul et achever son façonnement. Il en était conscient et savait qu’il ne lui restait plus grand chose à offrir que l’éternité, protéger son corps de l’érosion du temps, mais cela signerait en même temps l’achèvement de la dépendance de Rochel à son père, que ce dernier redoutait plus que tout.
L’enfant n’en était plus un, son corps avait mûrit à même allure que son esprit, il était beau, intelligent, redoutable…
Sans doute n’y aurait-il jamais meilleur moment pour figer sa beauté et le laisser aller vers l’absolution de son être.
Les doutes s’étiolaient peu à peu, Lucifel étudiait son fils avec sérénité, passant sa main sur son visage et attendant qu’il s’éveille…

Quelques dizaines de minutes s’écoulèrent avant que ne s’ouvre de nouveau les paupières de Rochel. Il grimaça de douleur et porta la main à sa tête pour constater les dégâts. Il y rencontra celle de Lucifel. Penché sur lui, celui-ci l’examinant intensément, l’air préoccupé, tout en nettoyant la plaie qu’il avait lui-même commise.

- Lucifel…

Dit-il d’une voix faible et légèrement enroué.
Il ne voyait pas ce qu’il aurait pu ajouter. Pas qu’il regrettait de s’être unit à sa mère pour quelques heures : s’aurait été mentir, car il avait réellement apprécié ce moment. Il ne demanderait pas non plus la vampirisation car il considèrait que ce devait être un don, non une exigence. Il n’avouerai pas qu’il l’aimait, cet être parfois odieux, parfois d’une immaturité surprenante, mais pourtant emplit d’intelligence et d’une fascinante noirceur, dont les très rares attention faisaient toujours un effet dévastateur dans le cœur du jeune Seïgura.

Non…

Tout cela son aîné le savait déjà.
Inutile donc…

Chose surprenante s’il en est, Rochel n’osa pas non plus toucher son père, bien qu’avec cette proximité, la tentation en était accrue : l’idée de caresser cette peau après celle de Sashina lui déplaisait au plus haut point.
Il n’esquissa donc ni une parole, ni un mouvement, transmettant par les yeux ce qu’il ne voulait exprimer.

Le regard des deux être ne se quittait plus, se mêlant l’un à l’autre pour ne former plus qu’un flux de pensées vagues et abstraites. Lucifel ressentait l’hésitation de son fils, de même que son désir d’accéder enfin à l’immortalité ne semblant pourtant point enclin à le réclamer.

Il y avait aussi cette distance physique, on eut dit que Rochel répugnait à l’idée d’étreindre son père et le vampire en devina la cause, plus prompt que jamais à s’imposer à son fils tel qu’il l’avait toujours fait mais de manière plus violente.
Ce n’était plus une relation entre le père et le fils, c’était bien plus extatique, plus malsain, car ce lien parental qui les unissait encore ne tarderait pas à s’éteindre définitivement à l’instar d’une passion plus dévorante, plus charnelle et dépourvu de toute « humanité ».
Lucifel se targuait d’imaginer ce qu’allait devenir sa progéniture, un prodige de son vivant promit à un grand avenir parmi la gente vampirique de ce désert. Sans doute se dresserait-il fièrement à ses côtés ou bien s’enorgueillirait-il comme lui même jadis pour vaquer par sa propre volonté, loin des dessins de son Pater. Cela n'importait plus, la simple perspective d’offrir au monde un être aussi malicieusement raffiné le comblait au plus haut point .

S’en était assez, cela faisait trop longtemps qu’il réfrénait ses pulsions et se refusait à s’emparer de la vie de son unique descendant. Sans même lui laisser plus de temps pour reprendre conscience, le vampire l’étreignit superposant son corps au sien de tout son long, sa carrure n’en paru que dérisoire face à celle du drow.
Ses mains passèrent dans l’épaisse chevelure ébène de son fils, dégageant subtilement l’encolure. Une peau hâlée et teintée de nacre se s’offrait à ses yeux lascifs, maculée d’un sang noirâtre mêlé au Xin et dont le sillon retraçait l’éclat d’une veine saillante.
Le regard du vampire fulminait la profonde concupiscence qui hantait son âme, son corps attiédi empreint du désir charnel, de la chaleur qu’irradiait Rochel. Le souffle du drow caressait sa peau diaphane tel les rayons de Pélor portés par la brise diurne. Ses veines brûlait d’appétence à travers son tout être, ravivant sa soif sans qu’il ne puisse l’enrayer et dominer le fil de ses pensées. Rochel sous son étreinte resplendissait, ce n’était plus le fils mais l’amant, l’essence même de sa velléité, ne désirant plus faire qu’un avec son corps.
Sa langue licha fougueusement la sève ensanglantée suintant sur sa gorge tandis que ses bras enserrèrent son héritier, le pressant fortement contre lui. Des frissons parcouraient ses membres les animants d’une pulsion fatidique. Chacun de ses muscles se crispèrent quand ses canines percèrent enfin la chair tendre et que le flot sanguin jaillit dans sa gorge, se diffusant progressivement à travers ses veines.
Le sang épais exaltait ses sens, d’une saveur corsée par la corruption et la perversité, subtil et bouillonnant tel le brasier infernal. Lucifel était éprit d’une transe effervescente bercé par le sang qui s’écoulait dans sa bouche et les battements effréné de son cœur au rythme de celui de Rochel. Le flot se disséminait à travers son corps, embrasant sa chair et martelant son cœur de sa sapidité métallique. Ce fut comme de l’acier brûlant qui s’irriguait ankylosant ses membres, une force étouffante embrumant son âme. Les formes se diluaient dans la nitescence des chandelles se muant en une saltation pernicieuse. Chaque recoins de le pièce sombrait dans les élucubrations de son esprit, ne se rattachant qu’aux pulsation faiblissantes du drow.
Le vampire s’arracha de son fils enivré par le sang qui gonflait ses veines et irriguait son cerveau d’un flux éminemment vif. Jetant la tête en arrière il incisa son poignet de ses dents puis embrassant Rochel porta l’entaille à ses lèvres.

Son regard n’était plus que passion portée par la folie créatrice, s’évadant au delà des contours se fondant dans les prunelles de Rochel. Sa vois fébrile est mélodieuse n’était plus qu’une mélopée s’évaporant dans l’air tel un murmure quand ses lèvres s’enlisèrent dans le creux de son cou, écumant la plaie que ses canines avaient engendré…

- Bois mon amour. Puise en moi la force à laquelle nul mortel ne peut prétendre. Bois à t’en repaître, ce sang qui est le notre est maintenant ton héritage…

Un mot : désir. Un son : celui de son propre souffle qui s’emballe.
La force de Lucifel malgré sa petitesse.

Il se serre contre lui.
Si léger, et pourtant dominant de leur étreinte.

Son pouls s’accélère, il sent ses veines se gonfler, son cœur s’emballer alors que les flammes dansant dans les yeux de Lucifel lui transpercent l’âme.

Il l’aime.

O combien…

Ses veines saillantes attirent immanquablement le regard du vampire assoiffé. Tout le corps du jeune drow n’est plus que frissons.
Tressaillant d’anticipation, il penche doucement la tête sur le côté, jouissant autant que souffrant de la lenteur d’exécution du mort-vivant. La torture superbe de sa présence contre son exécrée mortalité.

Une main dans la longue chevelure, caressante mais violente.
Un gémissement, lascif et langoureux, qui s’échappe de la gorge de Rochel sans qu’il ai pu le retenir.

Il est à cet instant l’ultime tentation du seul être qui, à ce jour avait su toucher son âme glacée.
Cet être va maintenant lui voler sa vie, assécher son cœur, arracher l’air de ses poumons… Le sang de ses veines…

Manifeste toi avant de t’éteindre à jamais, organe moteur qui m’attaches à ma triste destiné de mortel dont s’en va me délester celui que j’adule et veux…

Ses membres sont paralysés par l’enlacement de son père dont il se voulait victime. Au souffle chaud de celui-ci contre l’hypersensibilité de sa peau voit se joindre celle, aussi suggestive et malsaine que véritablement diabolique, de la langue du vampire, annonciatrice de la morsure dont la simple idée plonge déjà Rochel dans l’abîme d’un plaisir pernicieux qu’il attendait depuis si longtemps déjà…

Une déchirure en lui. Le supplice de la peau qui cède sous le tranchant des canines d’acier qu’il avait lui-même placé dans la bouche de l’être qui le perdait. Il était la source, il était l’envie, il était la vie, celle qui se dérobe et fui. Il se contracte, il ne sait plus s’il hurle ou se tais. La panique de sa tension s’intensifient à en devenir insupportable. La tête lui tourne. Il n’est plus rien. Un esprit caressé par l’inaccessible plaisir absolu. Lucifel en lui par les liens démoniaques. Le sang… Partout le sang. Ses yeux sont-ils ouverts ou fermés ? La fusion. Il se déverse en un flot continu de rougeur opaque, la bouche du vampire collée à son artère transpercée établissant le lien entre vie et mort, plénitude et vide intarissable, un désir commun, une volupté lubrique inégalé. Ses sens se perdent. Il se noie dans le flot de pensées mêlées et confuses dont une cependant écrases la faiblesse de son cerveau mortel : celle de sa passion névrosée.

Métal pour métal, le sang et l’acier, il sent le désarroi de son père, il sent le sien, il se serre contre lui, se contracte.

La faiblesse revient. Il quitte l’extase d’un instant qui lui parut l’éternité promise pour être rejeté au corps faible et flasque qui est encore le sien. Douleur… Son souffle n’est plus qu’une faible caresse contre le drap de soie. Le vert de ses yeux jusqu’alors étincelant semble se ternir, s’évader. Il voudrait crier, mais il est trop faible. Délesté de sa substance vitale, il s’éteint lentement.

Les canines s’arrachent à lui comme avec difficulté. Lucifel rejette sa superbe chevelure en arrière dans un ample mouvement de tête. Bouche grande ouverte, crocs nus, visage extatique, le tout couvert d’un sang sombre et opaque, presque noir. Son sang…

Les prunelles de Rochel se saoule de son image, sa passion dévorante, sa vésanie. Elle est là. Elle parcourt le corps superbe du vampire, elle s’étend sur lui comme un voile d’implicite assimilation. Il brûle. Il tremble. Il a froid. Très froid… La tête lui tourne. Il ne sait si la musique qui l’entoure née de la sous-oxigénation de son cerveau ou d’une réalité qui lui échappe encore, mais elle le transporte.

Il est confiant.

Il ne connaît aucun effroi.

Lucifel tranche son poignet. La douceur de ses paroles se perd dans l’esprit fuyant de Rochel. Si caressantes… Si apaisantes. Sa transe est totale.

La peau tranchée lui est présentée. Il entrouvre difficilement les lèvres pour les poser contre la plaie béante.
L’hémoglobine encore chaude trouve son chemin le long de sa gorge. Vient irriguer ses veines apathiques…

Sa propre essence lui revient. Il la sent métamorphosée, remaniée. La force et la perversion semblent décuplés en elle. Le retour à la conscience est rendu avec la vie-morte. Ses veines palpitent de nouveau. La noirceur. Un feu sombre qui l’envahit. Il cramponne à deux mains la source de son ravissement nouveau, une nécessité absolue de s’en remplir, s’en imprégner. Il plante ses ongles dans la chaire vampirique au plus profond, pratiquant de nouvelles échappées de sang. Il ne peut plus retirer ses dents de la plaie. Elles lui font mal. Il les sent grandir, se durcir, en même temps qu’une force nouvelle qui s’accroît, ennoblit sa condition… Il s’arrache au poignet offert au prix d’un effort suprême lacérant pour murmurer un faible

- Non. Pas comme ça…

Déployant ses muscles, il propulse Lucifel en arrière et se jette sur lui. Arrachant au passage un vêtement qui le gène, il découvre la cuisse de son créateur, l’encercle de son bras, et déchiquette la chair de ses crocs nouvellement nés pour atteindre l’artère qu’il sait s’y trouver…

Des années d’apprentissage de l’anatomie ne se sont pas avérées totalement inutiles…

- Regard-moi Lucifel. Tu me tue après m’avoir donner la vie pour me créer à nouveau. Regarde-moi donc, et laisse moi t’offrir à ton tour l’hédonique délectation qui fut mienne.

Appuyant ses lèvres éprises et voraces contre la fraîche morsure, il entama une avide aspiration. Parfaire sa transformation, apaiser sa soif frénétique, débridée…